Religion: n. f. Ensemble d'actes et de croyances qui déterminent la relation entre l'humain et le divin.
Le mot religion vient soit du latin religio, dont le sens est discuté : selon Cicéron il vient de relegere (d'où vient " lire ", signifiant d'abord " cueillir ") ; selon Lactance, il vient de religare (" lier à nouveau "), et les diverses acceptions latines du mot recouvrent aussi bien l'idée de scrupule, de recueillement que celle de lien contraignant entre les dieux et les hommes.
Sommaire
Superstition pour les uns, religion pour les autres
Mais les mêmes sens se retrouvent dans le mot superstitio (" survivance "), pourtant dépréciatif. Qu'ils soient païens ou chrétiens, les Romains ont toujours tenté d'établir une distinction de nature entre la pratique religieuse du vulgaire par rapport à celle de l'élite (pour les païens) ou entre celui qui sait ce qu'il fait et celui qui ne le sait pas (pour les chrétiens). Ce schéma culturel s'est perpétué jusqu'à nos jours : la superstition a longtemps été la religion de l'autre, qu'il est tentant de railler - les dieux des uns sont des idoles pour les autres. Le point de vue scientifique, a priori laïc, permet de reconnaître comme religieux des phénomènes qui induisent un comportement similaire (les rites), mais rassemble dans un objet commun d'étude des croyances très diverses. Ce point de vue peut scandaliser le croyant, qui y voit une atteinte à ce qui lui paraît, à lui, le moins discutable.
L’histoire des religions
Discipline récente, née au XIXe siècle, l'histoire des religions s'est heurtée aux difficultés d'établir une science des religions fondée sur une classification incontestable.
Recherche des origines de la religion.
L'origine de la religion est-elle dans l'intuition d'un sacré dont on constate la présence, mais dont on ne comprend pas a priori le fonctionnement ? Pourquoi Dieu n'agrée-t-il pas l'offrande de Caïn (Genèse 4, 5) ? Une présence est plus ou moins identifiée, mais quelle est-elle ? " Un dieu habite dans ce bois ; mais quel dieu ? Cela est incertain " (Énéide 8, 351). La mentalité religieuse suppose en tout cas que ce monde du divin interfère avec celui des vivants, qui s'efforcent d'en marquer les limites (consacrer et exécrer). Les croyants reconnaissent l'ambivalence de cette réalité, qui peut être maléfique aussi bien que bénéfique, le champ de la religion étant dès lors la reconnaissance qui permet de détourner un danger potentiel ; ainsi, les terrifiantes Érinyes de la religion grecque sont-elles aussi nommées les bienveillantes Euménides, dans l'espoir de les flatter et, ainsi, de détourner leur colère. Expression d'une inquiétude de l'homme, la religion n'a pour autant jamais les mêmes caractères : l'angoisse semble absente de la religion égyptienne, et l'on ne trouve d'au-delà ni dans le judaïsme ancien ni dans les religions grecque et romaine à leur premier stade - l'au-delà n'est d'ailleurs pas forcément après la mort : le chaman peut y accéder, tout comme l'ont fait Ulysse (Odyssée, 11) et Énée (Énéide, 6).
Les multiples visages de la déité.
Les divinités peuvent être proches des hommes dans leur comportement, comme dans la mythologie grecque. Elles se font connaître par des révélations, dans la religion étrusque ou dans les religions " abrahamiques " comme le judaïsme, le christianisme et l'islam. Elles peuvent aussi être des dieux impersonnels et se désintéresser d'une création qui se fait en dehors d'elles, sinon contre elles, comme dans l'hindouisme, ou bien se montrer personnelles et jalouses, intervenant dans la vie des hommes - c'est le cas dans les religions qui nous sont les plus familières, comme le judaïsme, le christianisme et l'islam. Ces dernières n'ont toutefois pas la même perception de sa proximité : le dieu des juifs invite à lui ressembler (" Soyez saints car je suis saint ", Lévitique 19, 2), celui des chrétiens s'incarne pour vivre en homme jusque dans la mort (Épître aux Philippiens 2, 8), celui des musulmans est radicalement autre (" Rien n'est à sa ressemblance ", Coran 42, 11). Les dieux peuvent être considérés comme supérieurs au point de nécessiter une sorte d'aggiornamento moralisant (évolution du Zeus de la mythologie grecque) ou être jugés plus aliénés que les hommes, étant contraints de " faire les dieux " : cette dernière conception se retrouve à la fois dans le bouddhisme et dans le matérialisme d'Épicure.
Recherche d’une évolution.
Les religions ont une histoire, dont on a tenté de percevoir l'évolution. On a pu tracer le schéma d'une universalité croissante ou d'une hiérarchisation rationnelle, qui peut aboutir, sinon au monothéisme strict (c'est le cas du judaïsme), du moins à un dualisme moral (zoroastrisme) ou cosmologique (manichéisme). Les religions sont, par ailleurs, régulièrement confrontées à la critique qui naît inévitablement du contact avec les autres cultes : ainsi, le philosophe païen Celse, dans son Discours vrai contre les chrétiens (IIe s.), en vient à accepter toutes les croyances assimilés par l'Empire romain, même les plus " déraisonnables ", sauf la dernière venue, le christianisme.
Activité humaine comme les autres et en interaction avec les autres, la religion n'est pas davantage dépourvue de contradictions : Bouddha prêchant l'affranchissement des dieux en devient un lui-même, et les taoïstes cherchent l'immortalité alchimique après que les philosophes fondateurs de la doctrine eurent rappelé que la mort est dans l'ordre des choses. Non seulement l'étude des religions requiert une analyse de leur relation avec le pouvoir politique, ou d'une institutionnalisation tendant parfois à réaliser sur terre une " cité de Dieu " (théocratie), mais elle demande une analyse de réalités difficilement perceptibles, comme la religion vécue, bien différente de la religion pensée.
Interprétations du phénomène religieux
Spécifiquement humaine, la religion s'est vu appliquer des explications globalisantes : pour les philosophes du XVIIIe siècle et pour les marxistes du XIXe siècle, elle est le produit du sommeil de la raison, et la manifestation d'une aliénation encouragée par des parasites qui en tirent profit ; au début du XXe siècle, les psychanalystes sont frappés par l'identité d'apparence entre le comportement rituel et la névrose obsessionnelle, alors que pour l'école sociologique de Durkheim, la religion est une affirmation de la société se manifestant à elle-même. Trop réducteurs, ces systèmes ont laissé la place à des approches phénoménologiques ou structurales (les travaux de Georges Dumézil) plus modestes. L'apport de penseurs comme Mircea Eliade serait d'admettre que le " religieux " est une des fonctions propres de l'esprit humain, au même titre que l'art, exprimant la nécessité de vivre sa vie symboliquement, au moyen des mythes, qui expliquent que le monde a une dimension sacrée, et des rites, qui permettent de réintégrer cette dimension dans le monde profane. En témoigneraient ce que l'on nomme les " religiosités séculières " (le " siècle " étant le monde profane, dans la terminologie chrétienne traditionnelle), c'est-à-dire les manifestations d'un esprit religieux, manifestations d'autant plus surprenantes qu'elles s'inscrivent dans un monde " désenchanté " : notre civilisation occidentale est sans doute la première dans laquelle le système idéologique de la religion a été délaissé au profit d'un autre système, celui de la science, qui ne partage pas, et souvent conteste, les présupposés religieux.
Les cultes modernes de substitution
Les sociologues étudient des manifestations incontestablement religieuses, comme les cultes de héros politiques (tel celui de Lénine) ou de personnalités du spectacle ou du sport (Claude François, Ayrton Senna). Il est difficile d'y faire la part du " spontané " et du " manipulé ", de la résurgence de tendances profondes ou de parodies plus ou moins conscientes, mais qui, comme un ensemble de croyances multiformes (allant des soucoupes volantes, déjà analysées par Carl-Gustav Jung comme un " mythe moderne ", à la nébuleuse actuelle du New Age, imprégnée de mysticisme), relèvent sans doute de la religion de notre temps. L'insatisfaction issue d'une existence purement " matérielle ", le désarroi social, le souci d'un salut souvent identifié, à la fin de notre deuxième millénaire, à la santé, à l'intégrité physique et psychologique de la personne sont autant d'élément qui peuvent amener à considérer ces religiosités comme des laboratoires où s'élabore en partie la religion de demain.
Un devenir en question
Cette réalité n'est pas sans préoccuper les religions traditionnelles, confrontées, sinon à une perte, du moins à un déplacement d'influence : les religions " universalistes " s'exportent avec plus ou moins de succès. Ainsi, la vogue du bouddhisme en Occident demeure minoritaire, mais l'islam semble progresser en Afrique. Cependant, les religions sont confrontées à une " mondialisation " dont il est difficile de prévoir les conséquences. Le christianisme, par exemple, et singulièrement le catholicisme, est de plus en plus tourné vers le continent américain. La difficulté de surmonter une sécularisation pouvant entraîner un matérialisme croissant ou la remise en cause d'équilibres séculaires (la place des femmes dans un sacré dont elles ont été généralement exclues) aussi bien que la concurrence de sectes (qui se considèrent comme de futures Églises), ou encore la tentation du repli intégriste (qui tente de mettre l'histoire entre parenthèses) laissent augurer des bouleversements théologiques dont on ne saurait prédire le devenir.